Les Apprentis Dictateurs : Chronique d’une Démocratie Sénégalaise Menacée

Les Apprentis Dictateurs : Chronique d’une Démocratie Sénégalaise Menacée

Dans la patrie de la Téranga, les calculatrices politiques tournent à plein régime. Les nouveaux locataires du palais présidentiel, installés dans les fauteuils qu’ils convoitaient avec ardeur, semblent avoir tiré un trait sur leurs promesses d’antan. Observation qui ne manque pas de faire sourciller les observateurs attentifs de la vie politique au pays de Senghor.

Des méthodes qui interrogent

Quand on scrute le rétroviseur, difficile de ne pas remarquer le contraste saisissant. Hier encore dans l’opposition, les stratèges de Pastef excellaient dans l’art de la confrontation directe. Les barricades de Ziguinchor et les appels à la mobilisation massive figurent au panthéon des tactiques déployées. Des méthodes qui, si elles avaient été utilisées par d’autres, auraient sans doute suscité l’indignation universelle.

“Quand on se présente comme les défenseurs de la démocratie, on devrait en être les premiers gardiens,” confie un analyste politique qui préfère garder l’anonymat. “Or, ce qu’on observe aujourd’hui ressemble étrangement aux pratiques qu’on dénonçait hier et qui n’étaient même pas vraies.”

Justice à géométrie variable

C’est peut-être dans l’arène judiciaire que le paradoxe atteint son paroxysme. Les poursuites contre les figures de l’ancien régime se multiplient, mais selon des procédures qui laissent perplexes les juristes. “Des lettres de transmission du ministre de la Justice sans dossiers solides présentés à l’Assemblée nationale, c’est pour le moins inhabituel dans une procédure judiciaire rigoureuse,” souligne un professeur de droit constitutionnel.

Le spectre de la justice instrumentalisée plane ainsi sur une nation jadis célébrée pour sa stabilité institutionnelle. “Poursuivre la corruption, c’est nécessaire. Mais le faire dans le respect absolu des procédures l’est tout autant,” rappelle un magistrat à la retraite.

Le quatrième pouvoir sous pression

La presse, baromètre traditionnel de la santé démocratique, semble également dans la ligne de mire. Des médias proches du pouvoir fleurissent tandis que la presse critique fait face à des “régulations” de plus en plus contraignantes. La terminologie officielle évoque la “professionnalisation” et la “moralisation” du secteur, mais les vétérans du métier y voient un écho inquiétant des méthodes appliquées sous d’autres cieux moins démocratiques.

“Quand un pouvoir commence à distinguer la ‘bonne’ de la ‘mauvaise’ presse, c’est généralement le premier pas vers un contrôle plus strict de l’information,” analyse un rédacteur en chef d’un hebdomadaire indépendant.

La rhétorique populiste comme bouclier

Face aux critiques, le discours officiel ne varie guère : revendication du changement, dénonciation des “résistances de l’ancien système”, glorification d’un “nouveau Sénégal” en gestation. Une rhétorique qui résonne particulièrement auprès d’une jeunesse avide de renouveau, mais qui masque parfois des réalités moins reluisantes.

“Le populisme a ceci de particulier qu’il se nourrit des frustrations légitimes pour justifier des mesures qui peuvent l’être moins,” note un sociologue spécialiste des mouvements sociaux africains.

La Casamance, point névralgique

La question casamançaise, cette épine dans le pied de tous les gouvernements sénégalais depuis des décennies, prend une dimension particulière dans ce contexte. Les liens historiques de certaines figures du pouvoir actuel avec la région suscitent des interrogations quant à l’évolution de ce dossier sensible.

“Entre apaisement nécessaire et risque de fragmentation territoriale, la ligne est ténue,” prévient un spécialiste des conflits régionaux. “La manière dont ce dossier sera géré en dira long sur les véritables intentions du pouvoir.”

Les fondamentaux menacés ?

Ce qui inquiète peut-être davantage les observateurs, c’est l’apparente remise en question de certains fondamentaux qui ont fait la stabilité sénégalaise : la cohabitation religieuse, le respect des autorités traditionnelles, la culture du dialogue. Des valeurs qui semblent parfois malmenées par des discours plus clivants.

“Un pays ne se construit pas sur des divisions, mais sur des consensus,” rappelle un ancien ministre maintenant dans l’opposition. “On peut réformer sans déchirer le tissu social.”

L’avenir en question

Faut-il pour autant céder au catastrophisme ? Certainement pas, répondent en chœur plusieurs analystes. Le Sénégal dispose d’une société civile vigilante, d’institutions résilientes et d’une population politiquement mature.

“Les tentations autoritaires finissent toujours par se heurter au mur de la résistance citoyenne,” assure un militant des droits humains. “L’histoire nous l’a montré à maintes reprises.”

Reste que la trajectoire actuelle interroge. Entre promesses de rupture et pratiques contestées, entre discours de renouveau et méthodes controversées, l’équation sénégalaise semble plus complexe que jamais à résoudre. Et comme souvent en politique, seul le temps permettra de distinguer les véritables réformateurs des apprentis autocrates.

En attendant, le débat démocratique, même s’il est parfois âpre, demeure la meilleure garantie contre les dérives de tous bords. Un débat auquel cet article espère modestement contribuer, en rappelant que l’esprit critique n’est jamais l’ennemi de la nation, mais son plus fidèle gardien.

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